La préservation du patrimoine est un sujet qui suscite de plus en plus l’intérêt des professionnels dans le domaine de l’architecture. Ainsi, dans les lignes suivantes, on va essayer d’expliquer quels sont les outils de planification urbaine existant en Espagne pour protéger les bâtiments aux valeurs remarquables. On mettra aussi l’accent sur San Sebastián, la ville pour laquelle les auteurs de ce texte ont rédigé un Plan spécial de protection.
Les différents agents impliqués dans la protection du patrimoine architectural
En Espagne, les Communautés autonomes sont actuellement les responsables de la sauvegarde du patrimoine culturel de leur territoire. Dans le cas du Pays Basque, un Conseil de gouvernement est chargé des inscriptions des bâtiments qu’il juge les plus significatifs, et le département de Politique culturelle et linguistique est celui qui gère les dossiers particuliers. La Loi 6/2019 du 9 mai, réglemente tous les aspects liés à la réhabilitation, la démolition, l’utilisation ou l’activité qui peut avoir lieu dans ces constructions. Elle établit six catégories pour les biens faisant partie du patrimoine culturel basque immobilier : monument, ensemble monumental, zone archéologique, jardin historique, itinéraire culturel et espace culturel.
Le contrôle sur ces biens culturels est fait par les trois institutions provinciales des territoires historiques de Biscaye, Gipuzkoa et Araba (Diputaciones Forales). Autrement dit, elles doivent veiller au respect de la règlementation, en supervisant l’activité des gouvernements municipaux.
Ces derniers, en plus, jouent un rôle très important dans la protection du patrimoine architectural majoritaire comprenant, d’un côté, les exemples les plus représentatifs des différents courants stylistiques et, d’un autre côté, les bâtiments qui, étant de second ordre, favorisent l’homogénéité des différentes zones des communes.
Les outils de planification urbaine au service du patrimoine
Quand les gouvernements municipaux rédigent un Plan général d’aménagement urbain (en espagnol et dorénavant, PGOU) ou des Normes complémentaires (en espagnol, NNSS), on incorpore un Catalogue des bâtiments protégés. Il s’agit simplement d’un inventaire des éléments architecturaux auxquels on impose certaines limitations générales relatives aux démolitions et aux modes d’intervention, mais celui-ci peut être développé ultérieurement par un Plan spécial dans le but d’adopter des mesures de protection plus précises.
Un Plan spécial est alors un outil de planification urbain complétant les déterminations d’un PGOU. Il est composé d’un mémoire, d’un règlement général, des normes particulières pour chaque élément (fiches), d’un catalogue, des plans et d’une étude de viabilité économique et financière relatifs au Plan.
Le Plan spécial de protection du patrimoine urbain et bâti à San Sebastián
Dans le cas de la ville de San Sebastián, le PEPPUC (acronyme espagnol de “Plan Especial de Protección de Patrimonio Urbanístico y Construido”, document approuvé en 2014 et révisé en 2021) vise à protéger le patrimoine bâti. Il est chargé de sélectionner les éléments et d’établir des mesures adéquates de conservation pour chacun d’entre eux. Cela justifie la différenciation et la réglementation de six niveaux de protection fondés sur la prise en compte conjointe des spécificités matérielles des constructions, du caractère individuel ou collectif des éléments, de leur répercussion urbaine, et d’autres enjeux:
- Niveau A : concerne les biens culturels, selon la Loi de patrimoine culturel basque. Le régime de protection est établi dans leur dossier particulier.
- Niveau B : la valeur individuelle est reconnue. L’enveloppe extérieure et des pièces à l’intérieur sont protégées.
- Niveau C : la valeur individuelle est reconnue. Seulement l’enveloppe extérieure est protégée.
- Niveau D : des valeurs protégeables sont reconnues dans leur façades par rapport à l’environnement urbain.
- Niveau E : concerne les ensembles, même si les éléments individuels sont déjà protégés de façon séparée.
- Niveau F : comprend les éléments bâtis ou d’urbanisation tels que les jardins, les ponts, les fontaines…
Ce classement se trouve bien argumenté dans le mémoire. Pour faire face à la sélection, il faut approfondir les différentes valeurs séparément, même si elles sont liées les unes aux autres. On a déterminé qu’il faut se fonder sur sept valeurs partielles :
- historique
- architectural
- du point de vue de la construction
- du point de vue de l’homogénéité
- l’intérêt urbain
- l’intérêt environnemental
- l’intérêt paysager
En ce qui concerne l’architecture contemporaine, la limite de cinquante ans a été fixée.
À l’heure actuelle, environ mille quatre cents constructions appartiennent à l’un de ces niveaux de protection.
Ensuite, il faut spécifier quelles sont les interventions possibles par rapport aux valeurs des bâtiments. Ces règles établissant les restrictions (ce qui peut ou ne peut pas être fait en termes d’architecture) sont présentes dans le Règlement général et dans les Normes particulières de chaque élément. Dans la plupart des cas, la protection concerne seulement l’enveloppe extérieure, c’est-à-dire, les façades principales et, parfois, les couvertures.
Cependant, il est important de préciser ce qu’un Plan spécial de protection du patrimoine ne fait pas. On pourrait dire que :
- Il n’a pas de moyens légaux pour accéder aux intérieurs des propriétés privées. Ainsi, la protection des espaces intérieurs est possible exclusivement pour les éléments publics et pour certains halls d’entrée des bâtiments résidentiels.
- Il définit le cadre d’éventuelles projets de réaménagement à l’avenir, mais il ne leur apporte pas de solutions formelles ou matérielles.
- Le fait d’être présente dans un catalogue d’éléments protégés ne constitue pas un moyen pour obtenir des aides financières pour faire face à des travaux de rénovation. En plus, seulement les éléments appartenant au Niveau A sont exonérés de la taxe foncière.
- L’influence d’un élément protégé sur son environnement urbain immédiat est relative et n’a rien à voir avec ce qui se passe en France avec les périmètres de protection et les règles des abords de monuments. Seulement pour certains biens immeubles appartenant au Niveau A sont établies des zones dans lesquelles la construction de nouveaux volumes n’est pas autorisée (Palais Miramar, Tour Satrustegi…), mais cette surface varie selon le bâtiment.
Le plus grand défi : la protection des villas
La préservation du patrimoine plus discret construit au XXe siècle, fait souvent l’objet d’un débat public à San Sebastián où le prix du foncier est élevé en raison de sa faible disponibilité et d’une affluence touristique considérable.
En effet, dans les tissus urbains où se trouvent des couvents historicistes dépeuplés, des villas isolées ou des usines rationalistes abandonnées, la préservation des valeurs patrimoniales architecturales ne concorde pas avec le règlement communal d’urbanisme étant au sommet de la pyramide du droit local.
Les outils de planification urbaine attribuent des surfaces constructibles supérieures aux existantes, conduisant ainsi à deux extrêmes : ravager ou surprotéger. Le premier point de vue, qui entraîne une tabula rasa du patrimoine dans le but de tirer le meilleur parti de la parcelle, connaît un grand succès. Certains aspects comme la densité bâtie, le nombre de logements possibles par parcelle, la surface minimum des logements et la surface de plancher occupée sont différents à l’heure actuelle (disproportionnés), en comparaison avec la situation originale de l’emplacement.
Selon le PGOU en vigueur, dans les parcelles de mille huit cents m2 on peut édifier entre quatre et six logements. Par conséquent, la démolition de l’ancienne maison et la construction d’un ou plusieurs bâtiments organisés en ensembles d’habitat collectif est très rentable, surtout s’il s’agit d’appartements avec vue sur la baie. Cette pression affecte négativement la conservation des zones suburbaines constituant une transition progressive envers la nature, ce qui est très important dans cette ville entourée de montagnes.
Ces aspects qui ont à voir avec le développement urbanistique sont, malheureusement, complètement indépendants des valeurs patrimoniales attribuées aux éléments. Ainsi, des contradictions surgissent lorsque les façades et la couverture d’un bâtiment sont protégées, si le Plan général fixe qu’il est possible de réaliser un agrandissement attaché à la maison originale. Le Plan spécial de protection n’a pas d’attribution pour définir la volumétrie, les alignements ou le projet architectural. De fait, ce sont les techniciens municipaux qui doivent accepter ou refuser les différentes propositions.
Les conséquences positives du Plan de Protection pour la ville de San Sebastián
D’un point de vue global, le Plan de protection de San Sebastián a dépassé les frontières de l’urbanisme en tant que discipline technique. La ville est maintenant sous le regard analytique des citoyens, toujours émerveillés par la beauté de son paysage et de son extension urbaine. Le débat sur le patrimoine architectural s’est intensifié lors de l’approbation du premier Plan en 2014 (révisé en 2021) et tout porte à croire que cette tendance se renforcera avec le temps, ce qui entraînera une amélioration de la procédure de protection des bâtiments.
Même si cet outil a tenté d’éliminer l’arbitraire des inventaires préalables en proposant des règles générales et particulières pour chaque immeuble, il faut travailler pour que le PGOU soit cohérent avec le patrimoine protégé.